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On the Road avec Jack Kerouac

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Naître après la Première Guerre mondiale dans une atmosphère baignée de morbide et d’horreur a eu un impact considérable sur les jeunes de cette génération. En France comme à travers le monde, cette guerre présentée comme la « der des der » ne sera en réalité que le prélude d’une seconde vague d’abominations.

Par André Girod

Alors, coincée entre ce qui venait de se passer et un avenir qui s’annonçait au moins aussi terrible, il n’est pas étonnant que cette jeunesse ait voulu briser le carcan de cette civilisation qui n’avait pas su empêcher un tel cataclysme.

En Europe, apparaissaient des mouvements contestataires qui voulaient tout effacer du passé et lancer de nouvelles bases dans la culture, la littérature, l’art en général. Ainsi naquit le «  Dadaïsme » cette révolte contre l’ordre établi, plutôt l’ordre qui venait de se désintégrer dans les champs de l’horreur.

Pour montrer le cynisme et le désarroi dans lesquels était tombée cette génération, il fallait inventer une idéologie qui faisait «  tabula rasa », une remise en cause de tout ce qui, jusqu’alors, dirigeait le comportement humain. Ce fut le rejet de la logique antécédente, de la raison surannée, des convenances dépassées, démarches de l’esprit qui avaient conduit à cette terrible tuerie. Alors seuls l’irrespect, l’irrévérencieux,  l’extravagance, le mépris des «  choses anciennes » et de l’autorité pouvaient libérer la créativité. Plus de chapeaux ronds ou hauts de forme, place à la tête nue, coiffure naturelle ou comme dira plus tard Jack Kerouac «  cheveux en bataille, vêtements fripés, semelles trouées. ».

Pour prouver l’absurdité et la tragédie de la Première Guerre mondiale, un groupe de jeunes qui fréquentaient le même café à Zurich en 1916, décida d’innover une nouvelle mode artistique. La légende veut que ce soit Tristan Tzara ( 20 ans en 1916) qui ouvrit un dictionnaire et de la pointe d’un coupe-papier tomba sur le mot «  dada ». Ainsi naquit le «  Dadaïsme ».

 

Ce genre de mouvement rebelle surgit surtout après des périodes mouvementées de l’histoire. Dés la mort de Robespierre en 1794, pour ne prendre que cet exemple , une explosion de joie se traduisit par l’apparition des «  Merveilleuses » et des « Incroyables »

 

Alors pas étonnant qu’un mouvement semblable se façonne aux Etats-Unis, après la « Seconde Guerre mondiale ». En une période de trente ans ( plus les trente odieuses que les trente glorieuses) le monde s’était déchiré, sacrifiant sur les champs de bataille des millions de jeunes. Il fallait réagir et de jeunes écrivains voulurent montrer l’exemple. L’un de ceux qui menèrent la danse fut Jack Kerouac.

 

Jean Louis Jack Kerouac était Canadien-Américain et déjà cette double nationalité le libérait d’un ancrage unique dans un pays. Né le 12 mars 1922 à Lowell, Massachussetts, d’une mère américaine et d’un père canadien, il va vite se distinguer dans le sport et l’écriture, pensant au lycée devenir joueur de football américain. Des années d’études à l’université, puis son destin bascule lorsqu’il rencontre Allen Ginsberg.

Tout rebelle n’est pas forcément écrivain mais souvent un écrivain doit avoir une âme de rebelle. Jack l’avait mais n’en prit conscience que vers ses vingt ans quand il rencontra le mouvement de la «  Beat Generation ». Difficile de traduire «  Beat » qui veut aussi bien dire dépressif «  beaten down » , vaincu «  beaten up » que  plein de fougue «  upbeat on the beat ». En tout cas « beat » implique l’idée de cassure, rupture dans un sens ou dans l’autre, « up » ou « down » ! Jack écrit :

« And everything is going to the beat It’s the beat génération it beats its the beat to keep its’s the beat of the heart  it’s being beat and down in the world… »

(Et tout sera battement, c’est la génération beat , c’est le battement, le battement à garder, c’est le battement du cœur  c’est être battement et au cœur du monde) Traduction difficile car l’anglais, d’origine saxonne, émet des sons souvent durs, gutturaux, plus une émotion ou un ordre qu’un sentiment. Mais un terme qui pourrait décrire l’état d’esprit de cette génération serait :  » béat « , mêmes lettres mais avec un accent aigu, qui rappelle une voix qui s’élève, peut-être une voix aiguë qui pousse un cri de surprise, d’enthousiasme !

 

Pour les jeunes des années 1950, dans ce même rappel de rébellion des anciens, il fallait changer le monde, innover, renverser les icônes, se débarrasser des vieilles carcasses. Pour atteindre cet objectif, fuir la culture d’antan, un seul mot d’ordre : rejet du matérialisme qui ne peut mener qu’à la guerre,  le non-conformisme qui libère la pensée, la vie de bohème qui permet une liberté sexuelle et culturelle et une créativité spontanée qui serait sortie de son carcan .

Pour appliquer ses principes, Jack décida de partir au hasard des routes, n’ayant que son imagination comme boussole et  son instinct comme guide. «  What’s in store for me in the direction I don’t take ? » ( Qu’est ce qui m’attend sur le chemin que je ne prends pas ?). Ce fut la rédaction de son chef d’œuvre «  On the Road » ( Sur la Route) 1957. Au hasard de son chemin, de ses rencontres, de ses dérives, il traça une ligne à travers les Etats-Unis, de New York vers l’Ouest, vers le Sud, retour vers l’Est. Il parcourut ainsi des milliers de kilomètres en autocar, à pieds sans itinéraire planifié. Cette libération matérielle aussi bien que spirituelle le fit réfléchir à qui il était.

Rempli de doute quant à son destin, il prit conscience de son environnement, le rapprochant de la nature lorsqu’il était hors des sentiers battus et se retrouvait dans des régions éloignées et peu connues. Les grands espaces américains lui accordaient cette vacuité de la civilisation et il développa un très grand respect pour tous ces gens qui vivaient de peu, isolés de tout, mais qui conservaient malgré leur situation, une très grande fierté, surtout parmi les peuples indigènes comme les Indiens du grand Sud. Il voyait en ces humbles et oubliés  une liberté, loin des conventions sociales étouffantes qu’il avait connues sur la côte Est et surtout dans les milieux qu’il fréquentait à New York. Il dira : «  Les seuls gens qui existent sont ceux qui veulent jouir de tout dans un seul instant ». Profiter à fond du moment qui passe, ne pas se projeter dans l’avenir, ce qui ne peut apporter que confusion, doute et terreur.

 

Pour  rendre aussi réelles que possible ces nouvelles découvertes qu’il faisait au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans l’Amérique profonde et délaissée,  il imagina une écriture non seulement spontanée, libérée de toutes les contraintes d’un style littéraire ( pas de ponctuation, pensée continue, aucun buttoir artificiel comme on l’a déjà vu avec Ezra Pound), il  rédigea ses réflexions en trois semaines, d’un seul jet, sur un rouleau de papier calligraphie japonaise de 36 mètres de long. L’avantage lui était apparu évident : pas besoin de tourner la page qui, pris au sens figuratif, impliquait à chaque fois une rupture, un moment d’hésitation, un vide qui se créait entre la page remplie et la page suivante vide, un mouvement de la main qui annonçait un changement de direction. Qui d’ailleurs n’est jamais retourné à la page précédente afin de raccrocher le fil de la lecture qui s’était cassé en la tournant ? Sur un rouleau continu, ce que faisaient les Japonais ou les Chinois, l’avancée de la plume ne connaissait aucun ralenti, aucun arrêt. Le texte était la traduction exacte de sa pensée spontanée qui coulait de son esprit.

Ce qui me rapprocha de Jack Kerouac, car on se sent proche d’un auteur en particulier lorsque ce dernier fait vibrer en vous une corde personnelle, c’est le trajet qu’il a suivi pour partir de New York puis y revenir.  Mais aussi l’émouvant hommage rendu à Jack par Lawrence Ferlenghetti, au cours des discussions que nous avions , nous les membres de la «  Poetry Workshop » de l’Université de l’Iowa. Je reviendrai parler de Lawrence. Souvent au cours de mes pérégrinations à la recherche d’écoles primaires américaines pour mon programme de la «  classe franco-américaine » je partais un peu à l’aveuglette à travers les cinquante états ( Alaska et Hawaii inclus) pour trouver l’école en or : différente, attirante au centre d’une région isolée aussi bien que des écoles de mégalopoles. Je rencontrais ainsi des enseignants de toutes sortes. Les enfants français que j’entraînais derrière moi comme le joueur de flûte, ont connu une école indienne en plein cœur d’une réserve de l’Arizona, une école amish, une école inuit, une école du quartier noir de Chicago, une école chic de Grosse Pointe Farms ( MI), une école internationale élitiste, une école de bord de mer en Floride. Plus je sillonnais les routes américaines, plus je découvrais la diversité des populations avec leurs coutumes, leurs églises, leur système scolaire, leurs fantaisies et leurs rêves. Alors je me rappelais des passages de «  On the Road » et je comprenais l’intense plaisir de Jack à rencontrer tous ces gens et j’appréciais ses petites anecdotes et ses observations. Dans le livre «  la classe franco-américaine » je me suis constitué le répertoire des diversités américaines !

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