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1871, l’Incendie de Chicago

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Ce feu si dévastateur a connu immédiatement l’ampleur d’une légende: son étendue, l’origine de l’incendie, la réaction des habitants de la ville, l’interprétation biblique de cette punition infligée par Dieu, le courage de chacun à vouloir reconstruire et enfin le mythe de Phénix ressuscité de ses cendres.

Par André Girod

Il est des villes comme des gens : il y en a qui marquent et attirent plus que d’autres. De toutes les métropoles que j’ai connues et visitées pendant mes quarante ans d’Amérique, deux retiennent encore mon attention : San Francisco et Chicago

Pas pour les mêmes raisons. Si je retrouve à San Francisco le dilettantisme et une vie artistique démesurée dans un décor d’une splendeur peu commune, je retourne à Chicago pour une autre beauté : la silhouette de ses bâtiments sur fond du lac Michigan. Une autre raison me pousse à préférer de loin Chicago à New York, c’est la bonne humeur et le manque de prétention de Chicago par rapport à l’exécrable mentalité des habitants de  la capitale de la finance : ils ont tout vu, tout fait, tout réussi jusqu’à un fameux… onze septembre 2001 ! Si New York a connu son apocalypse comme bien d’autres grandes villes : Londres et son incendie de 1666, Lisbonne et son tremblement de terre de 1755, Chicago fut la victime d’un des plus sévères désastres de l’humanité : l’incendie de 1871.

Ce feu si dévastateur a connu immédiatement l’ampleur d’une légende : son étendue, l’origine de l’incendie, la réaction des habitants de la ville, l’interprétation biblique de cette punition infligée par Dieu, ( que l’on retrouve dans la description de nombreuses catastrophes y compris le dernier tremblement de terre de Haïti), le courage de chacun à vouloir reconstruire et enfin le mythe de Phénix ressuscité de ses cendres.

Tout était inclus dans le scénario qui, pour la première fois, interpella le monde de la communication. En effet, jamais il n’y eut autant d’illustrations, de photos prises d’une telle calamité surtout que la horde de reporters et journalistes qui s’abattit sur Chicago avait eu l’expérience de la «  Civil War » ( Guerre civile) entre le Nord et le Sud qui venait de se terminer.

Au chômage, ces artistes de l’appareil photo et du crayon se ruèrent sur la ville dévastée. L’occasion était trop belle pour faire d’incroyables reportages et de fascinants articles.

Les causes de cet incendie ont été souvent évoquées mais la seule vérité nous fait connaître l’origine exacte du départ de feu. Très vite une légende s’institua et devint fermement ancrée dans la mémoire des Chicagoens : l’histoire de la vache !

Le 8 octobre, 1871, dans la soirée, la version folklorique veut qu’une Madame 0’Leary, fermière de son état, entra dans la grange pour traire SA vache. C’est l’image que l’on retrouve souvent dans le développement des villes américaines, contrairement à la poussée des villes européennes. La progression démographique de Chicago avait été fulgurante : en quarante ans, depuis sa fondation en 1831, la population avait été multipliée par MILLE ! L’anarchie complète avait fait pousser une ville champignon où se mélangeaient encore aspect rural et progrès urbain.

Cette brave fermière avait gardé un lopin de terre avec comme seule richesse cette malheureuse vache qui la faisait à peine vivre. Ce soir-là, comme tous les soirs, Madame 0’Leary déposa sa lampe à pétrole par terre pour s’éclairer pendant la traite.

Soit par négligence mais l’histoire veut qu’elle était, comme d’habitude, ivre, elle laissa sa lampe au sol quand elle quitta la grange. La vache donna un coup de sabot dans l’appareil qui se renversa et mit le feu à la paille. L’incendie venait de se déclarer.

Pourtant accuser cette brave femme est un peu curieux comme si elle était la seule responsable de la catastrophe.

Un feu de paille ou même un feu de grange était commun à l’époque sans que toute une ville ne parte en fumée. D’autres circonstances firent que rien ne put arrêter les flammes qui se propagèrent dans la ville.

Chicago porte le surnom de «Windy City» ( La ville du vent). L’on pourrait croire que le vent souffle constamment sur la ville et présente un danger permanent. Or le surnom ne vient pas d’un élément climatique mais du « vent » que font les hommes politiques lorsqu’ils sont en campagne électorale. L’expression a été donnée en 1893 à Chicago par Charles Dana, éditeur du New York Sun, lors d’une visite à Chicago : il avait passé deux heures à écouter les sornettes politiques et les promesses vantardes d’un homme politique. Le surnom resta. Mais peu à peu la connotation politique disparut et se substitua l’idée d’une ville où soufflait en permanence une brise venue du lac Michigan. Ce qui était une vérité météorologique : la ville est ventée et  subit des brusques chutes de température. Une fois au centre ville, en tournant un coin de rue, je fus frappé par une baisse de 12 degrés en une seconde, effet jamais ressenti ailleurs.

Les conditions pour une telle calamité étaient présentes le soir du 8 octobre 1871. Je les énumère comme elles sont très vite apparues aux yeux des investigateurs : d’abord un service de secours inadéquat, incapable par manque de matériel à cerner le feu. Faute d’eau à la suite d’une sécheresse de plusieurs mois, les pompiers, très amateurs dans la matière, ne purent faire face à la puissance de l’incendie. Beaucoup préférèrent se sauver plutôt que d’affronter les énormes flammes.

Une deuxième raison non moins aberrante tenait aux constructions elles-mêmes : les habitations de bois se touchaient presque comme dans une ville européenne du Moyen Age et se mélangeaient aux constructions plus solides mais elles aussi avec des infrastructures de bois. Les flammes sautaient de toitures en toitures, ensevelissant tout ce qui se trouvait entre. Même la rivière ne put servir de barrière de protection tellement l’incendie était intense.

Enfin le vent soufflait à environ cinquante kilomètres à l’heure mais dans la même direction, ce qui facilita la transition du feu de quartier en quartier.

Le chaos architectural de la ville champignon sans code ni règlements fit que comme un vaste tas d’arbres enchevêtrés,  la ville brûla sans discontinuer pendant 18 heures. Seul le lac Michigan et une pluie survenue inopinément ralentirent la marche des flammes et finirent par étouffer l’incendie. Le résultat était catastrophique : deux mille hectares brûlés, 18 000 bâtiments détruits, cent mille personnes sans abri, soit un tiers de la population !

Heureusement et ce fut un miracle, il n’y eut que trois cents morts !

Pourtant, quelques jours après l’incendie, un sentiment d’euphorie apparut chez les survivants. De ce désastre devait surgir un extraordinaire bénéfice : la nouvelle ville de Chicago serait la plus belle, la plus fascinante cité du continent nord américain. Le feu était un don du ciel pour punir ceux qui avaient transformé par une mutation aussi rapide, le village de pionniers en capitale du vice où les valeurs transportées d ‘Europe par les diverses religions dont celles des Quakers, étaient bafouées tous les jours.

Les bars transportaient le mal à travers la ville et les églises étaient délaissées. Les évangélistes tonitruèrent que Dieu avait frappé fort et qu’il fallait retourner à la vie que leurs ancêtres avaient recherchée sur ce nouveau continent.

Même ceux qui avaient négligé leurs obligations religieuses virent un sublime présage dans ce malheur : ils avaient le champ libre à présent d’organiser une ville moderne et de se lancer dans des projets architecturaux qui transformeraient Chicago en la ville la plus avancée du continent. Sur ces cendres renaîtraient le progrès, la civilisation d’une ère jamais atteinte jusqu’à présent.

En ce point-là, une comparaison devient inévitable et elle fut ressentie par les intellectuels de Chicago : leur ville ressemblait à s’y méprendre à Paris, la ville des lumières et de la créativité artistique et intellectuelle. Chicago deviendrait le Paris de l’Amérique.

La comparaison n’était pas absurde à de multiples points de vue. D’abord Chicago était devenu le passage incontournable de tous les systèmes de transports de l’Amérique.

Tout transitait par ses gares car les lignes de chemins de fer  partaient ou arrivaient toutes à Chicago. La ville était devenue une énorme gare de transit et de triage. L’Est rencontrait l’Ouest à Chicago et le Nord partait de Chicago vers le sud. Paris avait la même configuration pour la France et était le centre du transport ferroviaire vers 1870.

Paris subissait alors une véritable révolution urbaine avec les mesures prises par Haussmann pour délivrer la ville de ses taudis et donner de nouvelles perspectives à l’ensemble. Ce que le Baron Haussmann avait souvent fait pas la force, l’incendie, acte de Dieu, l’avait brutalement réalisé en à peine un jour. D’un côté le pouvoir de l’homme, de l’autre, la foi en Dieu. Mais le résultat était identique : une ville nouvelle naissait. De plus, Paris avait, elle aussi, subi les dégâts de la Commune.

En outre l’incendie avait épargné le poumon industriel de la ville : son port, ses abattoirs par lesquels transitaient plus de deux millions de porcs par an et plus de cinq cent mille bovins. Chicago alimentait l’Amérique. Ses canaux, ses gares avaient résisté et en quelques jours sinon quelques heures, la vie économique reprenait.

L’incendie avait aussi joué un rôle égalitaire dans la population. Les pauvres avaient été les victimes des flammes, mais  les quartiers riches et affluents ne furent pas épargnés non plus, jetant sur les plages du lac Michigan, les rois de l’industrie, de la finance et les hommes politiques. Tous ceux qui avaient créé artificiellement des frontières pour séparer les pauvres des riches, se retrouvèrent dans le même bateau. Le roman «  Wau-Bun » par Juliette Magill Kinzie décrit  avec un réalisme surprenant, la montée de cette division sociale et ethnique ( elle inclut le rôle des Indiens)  depuis le début de l’installation des premiers pionniers dans ces marécages qui bordaient le lac Michigan.

C’est l’histoire de la petite fille riche et gâtée qui rencontre l’amour avec un artiste démuni mais plein de talent. Grâce à l’incendie qui les jette tous les deux sur la rive du lac, ils vont s’aimer. Elle a perdu son père dans l’incendie et toute sa fortune et lui des toiles et un petit pécule accumulé à force d’économies. Ils repartent de zéro et construiront à deux une nouvelle vie. Fermez le ban !

Le livre eut un succès formidable car il touchait tous les habitants de Chicago qui voyaient dans l’épilogue un espoir dans l’avenir.

L’apothéose de la réussite de la reconstruction de Chicago fut l’exposition universelle de 1892-1893 : « World’s Columbian Exposition », pour célébrer le quatre centième anniversaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb.

Plus d’un tiers de la population américaine de l’époque visita l’exposition, donnant à Chicago finalement la place qu’elle méritait parmi les grandes métropoles du monde. L’architecture d’avant-garde, le premier gratte-ciel, le premier code d’urbanisme au monde, les premières contraintes obligatoires dans les matériaux utilisés dans la construction des maisons et des immeubles donnèrent à Chicago la plus importante école d’architecture au monde d’où sortirent Frank Lloyd Wright et Louis Sullivan.

Chicago avait gagné son pari grâce surtout à deux hommes auxquels la ville rendit un hommage : le Maire Joseph Medill qui imposa un nouveau code d’urbanisme et  William Bross, ancien Gouverneur de l’Etat de l’Illinois qui par sa vision, avait redonné espoir aux sinistrés. Editeur du «  Chicago Tribune » qu’il avait aidé à fonder, il avait rédigé des articles pour encourager ses contemporains à réagir positivement et à retrousser leurs manches pour reconstruire.

Il écrit : « J’ai été frappé, lors de mes déplacements dans la ville détruite, par le caractère et la réaction de la population. Partout, je voyais la preuve du véritable esprit de Chicago et les hommes s’interpellaient ainsi : «  Courage, tout ira bien dans peu de temps ! » Leur courage était merveilleux. Tout le monde était agréable, joyeux et plaisantait même malgré la misère et la destruction qui les entouraient. Ils disaient tous : » Chicago sera reconstruit immédiatement. »

Et la ville en quelques semaines connut une incroyable transformation. Elle reste, à mes yeux, la plus belle au point de vue architectural. Le profil de Chicago, vue du lac est inouï avec ses bâtiments de toutes formes et de tous matériaux. Les rares monuments à avoir résisté au feu sont devenus les symboles de Chicago : la «Water Tower» et la «Pumping station» qui se trouvent sur l’Avenue Michigan, la grande avenue de Chicago. Elle venaient d’être construites en 1869 !

André Girod

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