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J.D.Salinger et l’Attrape Cœurs

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Dans son livre «The Catcher in the Rye », Salinger va opposer l’innocence et la bonté de la jeunesse à la corruption et à l’horreur des adultes. Son anti-héros se méfiera des adultes, refusant de s’associer à eux, les soupçonnant de toutes les dépravations.

Par André Girod

L’une des caractéristiques des Etats-Unis, et c’est souvent répété par rapport à l’Europe, est d’être un pays « neuf ». Si l’Europe représente le vieux continent, quelquefois pris par les Américains comme péjoratif, exemple d’une société quelque peu archaïque, figée dans ses conventions et attachée à ses traditions, l’Amérique est  le paradigme d’un monde récemment créé. Presque inventé de toutes pièces par ceux qui fuyaient les anciens régimes. A ce titre cette terra nova reçut nombre d’émigrés venus de toutes les latitudes et cultures. C’est le fameux « melting pot », ce creuset où races, ethnies, religions, langues, civilisations se mélangèrent pour former l’ »Américain ».

Il n’est pas rare de trouver chez de nombreux écrivains américains ce croisement de cultures ( comme un bouillon de culture) qui a donné le descendant qui nous intéresse : J.D.Salinger. Avec des parents comme il a eus, pas étonnant qu’il ait été perdu depuis son enfance quant à son identité. Dans son célèbre roman «  The Catcher in the Rye », il dévoile le dilemme qui l’a persécuté. Mais avant de rappeler les thèmes de ce livre, voyons la descendance de Salinger.

D’abord sa mère : Miriam Marie Jillich, d’origine allemande, née dans l’Iowa. Cet état, à cause de sa terre fertile, a attiré de nombreux paysans des plaines de l’est de l’Europe, en particulier d’Allemagne. Elle est née à Atlantic à l’ouest de la grande ville de Des Moines ( nom français dû aux premiers explorateurs français venus du Canada). Pourtant la plus importante colonie allemande et la plus connue, se trouve à l’est de la capitale de l’Iowa, à une vingtaine de kilomètres de Cedar Rapids (encore cette ville !). Ce sont les « Amana Colonies ». Après avoir fui les persécutions de l’Allemagne au milieu du 19e siècle, ces fervents religieux s’installèrent près de Buffalo, New York mais manquèrent de terre. Ils allèrent vers l’Ouest qui s’ouvrait aux pionniers et s’installèrent dans l’Iowa. Leur foi en Dieu les unit encore maintenant. Les hommes suivirent le mouvement « piétiste » qui les inspirait à parler ensemble de leurs problèmes. Ils furent appelés les « inspirationnists » où chaque homme avait toute liberté de s’adresser aux autres. Les femmes par contre sont toujours restées en retrait. Même en 1965, dans les services religieux dits en vieil allemand, il y avait séparation des hommes des femmes. Mais les visiteurs sont nombreux surtout le soir, car les restaurants y sont excellents. De plus les plus beaux meubles aux Etats-Unis sont fabriqués par ces artisans extrêmement doués : horloge, meubles, lits.

J. D. salinger Author 1951

La mère de J.D. Salinger venait certainement de cette vague d’émigration puisque son père George Lester Jillich est né de paysans allemands. Elle portait le prénom de Marie qui devint Miriam à la suite de son mariage avec Salomon Salinger de religion juive. Jérôme David Salinger, notre écrivain, a ressenti cette division, tiraillé entre deux religions opposées. Il se disait qu’il n’était ni l’un ni l’autre et fut troublé par cette démarcation. De plus il était né le premier janvier 1919, le premier jour de la première année de la paix après l’horreur de 14/18. Autre traumatisme qui le suivra : devant cette société détruite, il hésitera longtemps à vouloir s’extraire de l’inconscience et de l’insouciance de l’adolescence pour affronter les calamités de l’âge adulte. Son personnage principal, Holden Caulfield était  « so depressed I go crazy ».( si déprimé qu’il en devenait fou).

Pour ne rien arranger de ses humeurs, en 1941, il s’engage dans l’armée, débarque le 6 juin 1944 sur la plage d’Utah, dans le Cotentin, parmi les premiers soldats américains, voit son régiment décimé, plus de la moitié de tués les premiers jours, puis à Bastogne, il affronte à nouveau un terrible combat et enfin termine la guerre en libérant le camp de concentration de Dachau ! Pas surprenant qu’il soit devenu «  crazy » et qu’il ait voulu fuir la condition d’homme adulte au vu de ce que celui-ci était capable de faire !

Dans son livre «  the catcher in the rye », il va opposer l’innocence et la bonté de la jeunesse à la corruption et à l’horreur des adultes. Son anti-héros se méfiera des adultes, refusant de s’associer à eux, les soupçonnant de toutes les dépravités. Il a pris le titre d’un poème du célèbre poète écossais Robert Burns (1759-1796) (voir John Muir) :

«  When  a body meet a body
Coming through the rye »

 

Un peu « boy meets girl », un garçon rencontre une fille.

Au moment où il publie « The Catcher in the Rye » ( en français « L’Attrape-cœurs » qui est, à mes yeux, une mauvaise traduction), il est un homme pris de confusion et d’angoisse, le fameux « angst » de Soren Kierkegaard, la terreur d’échouer dans la vie . Sentiment fort qui conduira à « l’existentialisme ».

Ces 48 heures dans la vie d’un adolescent sont en effet terrifiantes : il s’est enfui du pensionnat, couche dans une gare, ne retourne pas à la maison familiale, sent une approche douteuse avec son professeur d’anglais. Seule sa petite sœur, Phoebe, le met à l’aise.

La vie de Salinger va se trouver bouleversée par le succès de son livre, plus de 60 millions de copies vendues, lecture des adolescents de cette époque, de tous ces jeunes qui se cherchaient et voyaient l’avenir avec inquiétude. Les James Dean qui suivirent avaient en eux cette profonde incertitude. L’assassin de John Lennon avait une copie du livre de Salinger dans sa poche, copie qu’il avait fait signer par Lennon quelques heures avant sa mort. Cet égocentrisme qui marque les adolescents et crée en eux le complexe de l’ « omphalos », le complexe du nombril, du centre du monde, se dégagera de la vie de Salinger. Il veut accéder à la notoriété comme s’il voulait de sa dégager de sa gangue de l’inconnu, physiquement et psychologiquement et quand il y parvient, il passera le restant de sa vie ( il est mort le 27 janvier 2010 à l’âge de 91 ans) à l’effacer. Il s’enferma dans une région isolée, refusa tout entretien, tout contact avec les médias car sa réussite le poussa à la paranoïa, à la peur de l’autre. Il se crut envahi, exploité dans ce monde qu’il avait d’abord rejeté mais qui l’avait exposé au grand jour. Sa notoriété l’effraya car elle lui apportait de nouvelles terreurs de ne pas être à la hauteur. Il passa le début de sa vie à chercher à sortir de l’inconnu et une fois la notoriété acquise, il voulut retourner à cette époque de l’anonymat.

Quand on considère  sa descendance, on peut comprendre que Salinger ne savait pas exactement dans quel monde vivre. Il connaissait celui qu’il était sur le point de quitter vers l’âge de 17 ans mais où cette existence allait-elle le mener ?  Au monde des adultes, surtout avec son succès, il s’enferma dans son monde à lui qu’il pouvait contrôler, adoucir et lui fournir son « omphalos » où il se sentirait bien.

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