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Fifty shades of Grey

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Un livre est en train de bouleverser les lecteurs (surtout lectrices d’ailleurs) américains. Ecrit à la hâte et sans aucun autre but de vivre sur papier un fantasme, une « ménagère de moins de 50 ans », Erica Leonard, mieux connue sous le pseudonyme de E.L. James, a pondu un « best seller » qui dépasse de loin tout ce que le monde de l’édition a connu.

Par André Girod

Plus de trente millions d’exemplaires vendus en quelques mois. Les rotatives sont brûlantes de tourner jour et nuit un peu comme toutes ces femmes d’âge moyen qui tournent et retournent les pages de ce brûlot érotique littéraire.

L’érotisme est le produit du subconscient de l’être humain qui ose en lui-même s’imaginer des scènes qui ne seraient pas dignes, ou du moins acceptées dans la société. Ceux qui passent le filtre de leur timidité en publiant de telles histoires sont aussitôt catalogués comme pervers, personnages exclus de la société. Et ils sont nombreux depuis l’antiquité. Même au-delà si l’on considère la Vénus de Willendorf ( – 16 000 ans) ou le Mourant de Lascaux ( – 25 000 ans).

Alors de temps à autre surgit un roman qui rappelle aux lecteurs (et lectrices) qu’il existe un autre mode de confronter un homme et une femme en dehors de l’amour ou du sexe conventionnel.

« Fifty shades of Grey » est l’un d’eux et il tombe à pic dans une période difficile aux Etats-Unis. Si le succès a été immédiat, c’est que les femmes ( ménagères, secrétaires et même les féministes) se trouvaient au point mort dans leurs revendications sociales, économiques ou politiques. Depuis des décennies, après la révolution du féminisme, aucun progrès ne semblait poindre à l’horizon : discriminations dans le monde du travail, domination des hommes dans tous les domaines, régression des avancées, routine et monotonie dans les rapports sexuels. Un coup de tonnerre devait éclater et ce livre est l’éclair qui frappe une société pétrifiée.

De plus à l’horizon de la campagne électorale surgissaient des fantômes d’antan : femmes au foyer, inégalité des sexes, et pas plus tard que la semaine dernière, le membre du Congrès du Missouri, Todd Akin disait qu’un viol authentique ne pouvait donner lieu à une grossesse, le corps de la femme se défendant biologiquement contre cette conséquence possible. Paul Ryan, le co-listier de Mitt Romney veut interdire l’IVG même en cas de viol.

Contre ce déferlement de positions anti-féministes, contre cette liberté qu’avait acquise la femme dans les années 60/70, il se devait de trouver un écrivain pour pourfendre une telle atmosphère.

Aux siècles précédents des écrivains s’étaient acharnés dans l’érotisme pour faire prévaloir cette liberté que les autorités tentaient de supprimer ou ne voulaient pas accorder. Le Marquis de Sade, dans Justine ou Juliette, vers 1791, affronte le problème de face, ce qui lui vaudra la prison. John Cleland dans son livre « Fanny Hill » défie les autorités puritaines britanniques. Restif de la Bretonne écrit en 1789 son « Anti-Justine », relève le gant, et intitule certains de ses chapitres  d’une écriture osée : « Du con soyeux », « Du conin au poil follet », « De l’épouse qui se fait enculer » !

Dans le domaine de l’érotisme, le tour a été fait. Mais pourquoi ce livre se distingue-t-il des autres ?

L’histoire est d’une banalité surprenante : Christian Grey est riche, jeune et beau. Il est à la tête d’un empire mais cherche à aller au-delà de ses limites dans le plaisir sexuel, tombant dans le sado-masochisme de bas étage. Il part à la recherche de proies prêtes à le suivre dans l’univers de la perversité.

Il rencontre au cours d’une interview, Anastasia Steele, jeune étudiante qui remplace son amie Katherine, malade. Christian repère chez la jeune fille vierge et naïve, une de ses prochaines victimes. Anastasia est prise de passion pour cet homme extraordinaire si rempli de mystères. Le décor est planté. Pas à pas, Christian va attirer la belle étudiante dans ses rets vicieux. Il veut lui faire signer un pacte d’obéissance :  elle devra suivre ses ordres dans le domaine de la sexualité jusqu’au bout de ses limites, à lui évidemment mais aussi à elle. Son rôle sera alors de l’emmener à accepter l’inadmissible dans ses ébats amoureux, utilisant les méthodes outrancières de la séduction.

Anastasia se raisonne qu’elle aura la force de dire non aux propositions de Christian. Mais elle est vaincue à chaque confrontation, se souvenant de l’explosion de ses sens lors de la dernière rencontre. Elle pense que c’est sa limite. Mais Christian lui montre qu’il y a de la marge dans la perversité. Il en arrive à lui faire accepter d’être attachée et battue jusqu’à la faire presque évanouir. Anastasia jure que c’est la dernière rencontre mais le contact avec Christian lui manque tellement qu’elle le rejoint.

Syndrome de la femme battue, limites excessives du sado masochisme ?

Terrorisée mais toujours consentante, Anastasia pense pouvoir modifier l’attitude de Christian à son égard donc à l’égard de toutes les femmes. C’est la « mère Teresa de la sexualité » : elle veut soulager la conscience de Christian en s’offrant à lui.

Les scènes du livres sont torrides avec une description précise de ce qu’elle subit, de ses réactions. Le tout ponctué de « Holy shit » et autres expressions qui révèlent à la fois sa surprise dans l’excitation de ses sensations. Toutes les fois qu’elle sort d’un accouplement qui lui a donné de nombreux orgasmes, elle s’écrit « Wow, Holy shit« , l’air de dire que c’était « vachement sublime » !

Alors pourquoi ces femmes dévorent-elles ce bouquin avec autant d’avidité?

Le rôle d’Anastasia qui pourrait passer pour une oie blanche qui a rencontré le diable érotique n’est pas sans rappeler que finalement c’est la femme qui sort victorieuse : elle est patiente, têtue et déterminée à punir le sadique.

Elle y arrive à la fin du livre : elle s’est tellement donnée à Christian qu’elle est devenue sa drogue. Alors elle refuse finalement de signer ce fameux contrat et l’abandonne, le laissant accro et une véritable loque. Il ne peut plus vivre sans elle : elle a accepté tous ses caprices, il a vécu tous ces fantasmes.

Elle le tient à la gorge, dans son souvenir, par la queue, par son obéissance qui le rendait fou. Et totalement anéanti, il voit s’éloigner sa princesse, son égérie, sa plus savoureuse victime. Il a tout perdu.

Anastasia dont le nom de « Steele » ( steel : acier) représente la caractéristique principale de cette femme face à Grey (gris, l’homme de l’ombre, de l’incertitude et de la confusion, homme aux milles facette, aux cinquante nuances de gris (Fifty shades of Grey). Il croyait vaincre et il est brisé en mille morceaux.

Les femmes se retrouvent dans cette guerrière qui a mené un dur combat mais qui a su utiliser tous ses charmes pour enferrer le pervers et le réduire en pulpe . C’est une Jeanne d’arc, prête à mourir pour chasser les démons d’Anglais. Anastasia s’est livré à une lutte acharnée, subissant les pires sévices mais sortant toujours la tête haute et le corps rompu, croyant fermement qu’un jour elle aboutirait à dompter Christian. Les démons sont restés chez Christian et maintenant c’est lui qui se fait ronger jusqu’au sang, jusqu’à la folie par ces mêmes démons.

Sacrée victoire de la femme sur l’homme.

On comprend mieux ainsi l’engouement des femmes pour ce roman : elles sont vengées de toutes les misères qu’elles subissent de l’homme.

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