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Ezra Pound, poésie, arme d’espoir et de détresse

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Ezra Pound était aux portes de la mort lorsqu’il apparut : il avait en 1967, quatre-vingt deux ans, son dernier retour en Amérique dont certains milieux l’avaient haï. Né le 30 octobre 1885 à Hailey, Idaho, il avait très jeune révélé un talent d’écrivain.

Par André Girod

En 1965, Coe College  ( « College » est le nom donné aux Etats-Unis à une petite université privée) à Cedar Rapids, Iowa, m’offrit un poste de professeur de français et me chargea de redresser le département de français en bien mauvaise condition. Je pus en quelques trimestres redresser la barre mais je m’aperçus que mes diplômes français et anglais ne suffiraient pas à véritablement percer dans le monde universitaire américain. Alors je décidai de m’inscrire à des cours à l’université voisine (environ quarante kilomètres de Cedar Rapids) : elle s’appelait « Iowa  University »  à Iowa City et avait une excellente réputation, parmi les vingt meilleures aux Etats-Unis, pour sa faculté de médecine (d’où sortit ma fille ainée comme médecin) et pour son département des sciences avec plusieurs professeurs dont le Dr. James A Van Allen, prix Nobel de physique.

Je m’inscrivis au programme d’un Master (MB) en littérature puis l’ayant obtenu en juin 1967, je poursuivis mon parcours pour tenter d’obtenir un doctorat (PhD).

C’est alors qu’un cours m’apparut comme fascinant en tant qu’écrivain et poète : l’ « International Writing Program » dirigé par Paul Engle et sa femme d’origine chinoise, Hualing Nieh . Paul Engle n’était pas un inconnu à Cedar Rapids car il y était né et avait même été l’élève de Grant Wood, à la « Mc Kinley School« . Très doué il devint vite le poète attitré de la ville puis se vit offrir un poste d’enseignant à l’Université de l’Iowa.

Paul est né à Cedar Rapids en 1908, a fait sa scolarité dans les écoles de la ville et est devenu étudiant à Coe College là où j’enseignais. En 1941, il devient le directeur du « Writing Workshop » et lui donne une ampleur considérable, transformant cet atelier d’écriture en une référence aux Etats-Unis. Dés 1967, il lance le « International Writing Workshop » dans lequel je m’inscris en octobre 67.

Pour y être accepté, il faut avoir publié dans son pays, ce qui avait été mon cas avec deux longs poèmes : « L’ivrogne » et « Demain le soleil était noir ». Le magazine « Caravan » sort à la fin de chaque session avec des compositions d’auteurs qui ont assisté au séminaire.

Or en 1966-67, puis 1967-1968, dans l’atelier « Poetry Workshop » dirigé par Paul, des invités d’honneur venaient passer quelques semaines avec les participants. C’est ainsi que cette première année, le grand poète américain Ezra Pound a participé à nos discussions, critiques et rédactions d’écrits. L’année suivante, ce fut au tour de Lawrence Ferlinghetti puis d’Allen Ginsberg de venir.

Ezra Pound était aux portes de la mort lorsqu’il apparut : il avait en 1967, quatre-vingt deux ans, son dernier retour en Amérique dont certains milieux l’avaient haï. Né le 30 octobre 1885 à Hailey, Idaho, il avait très jeune révélé un talent d’écrivain. Après des études aux Etats-Unis, il partit pour l’Europe. Il est à remarquer comme nous l’avons vu avec Grant Wood, que l’attirance de l’Europe était considérable pour les intellectuels, écrivains, peintres, sculpteurs américains. L’Europe était un foyer d’innovation artistique, d’exubérance littéraire, de liberté de moeurs et tout Américain qui voulait s’épanouir dans le monde des arts, rêvait d’y séjourner. Au contraire, comme nous l’avons vu avec Vanderbilt, les Européens qui voulaient développer leur recherche d’innovations industrielles, de talent commercial et d’aventure débridée partaient vers l’Amérique. Un vrai programme d’échange entre la France et les Etats-Unis !

Ezra vécut longtemps en Angleterre, près de Londres, puis en Irlande où il devint le secrétaire privé du grand poète irlandais, William Butler Yeats. Puis il rencontra une femme de la bonne société, Dorothee Shakespear, qu’il épousa en 1914. Mais la France terre d’exil et terre d’asile pour les intellectuels étrangers l’attira. Il s’y installa en 1921 dans un petit appartement, rue Notre Dame des Champs et fréquenta artistes et dames du monde. Il fit la connaissance de Marcel Duchamp, de Tristan Tzara, le fondateur du Dadaïsme, de Fernand Léger. Ce nid d’exaltés, de personnages parfois sinistres, cyniques et bouillonnant d’imagination, voulait changer la société après le terrible cataclysme humain de 14-18. L’horreur était apparue dans toute sa splendeur, l’homme ayant laissé son sang, son âme, son intelligence dans les tranchées. Il fallait du nouveau, n’importe quel nouveau, du moment que c’était le contraire du passé. Tout devait passer à la trappe, tout devait être détruit, les icônes de l’avant-guerre, les principes de la troisième république. Déjà en Russie, en Allemagne apparaissaient une nouvelle génération de chefs énigmatiques, charismatiques qui bouleversaient les données géopolitiques des régimes débiles et corrompus. Hitler, Mussolini, Staline, partis de rien, avaient renversé les faibles, les  immondes qui se vautraient dans l’argent cupidement amassé et dans des mœurs dépravés. C’est pour ces raisons qu’au début de la montée du totalitarisme, de nombreux intellectuels ( André Gide, Jean-Paul Sartre, Ezra Pound entre autres) s’enthousiasmèrent pour la montée d’une nouvelle idéologie anti-bourgeoise, anti capitalisme ( à l’américaine) et professèrent une admiration pour ce nouvel élan géopolitique.

 

Ce fut alors le destin d’Ezra Pound de se laisser entraîner dans la gloriole du fascisme et de proposer ses services à Mussolini pour animer une émission contre les Etats-Unis de 1941 à 1945. Sur les ondes il épandait sa haine contre le capitalisme, les gnomes de Washington et dans ses délires les plus bruyants, souhaitait la fin de ce monde où il avait souffert.

Ses écrits ressemblaient à des balles de mitrailleuse dirigées vers ces sphères si vilipendées. Ce fut son début dans « l’imagisme » qui pourrait se traduire par une poésie très directe, un langage imagé, une expression précise. Ce genre d’écriture est influencé par le haïku japonais, poème qui ne dépasse pas 17 syllabes. Cela ressemblerait, si j’ose une comparaison, à la nouvelle façon de communiquer, le twitter. Et cette idée ne pouvait venir que de l’Amérique avec sa langue anglaise très calibrée sans fioritures, sans sentimentalisme. Tout sauf le romantisme guimauve que l’on mâchait indéfiniment lors des lectures de poèmes. Du rapide, du raccourci, du direct. C’est le style qui est devenu à la mode : un reportage en deux minutes, trois phrases et le sujet est bouclé !

Pour bien comprendre l’œuvre de Ezra Pound, comme je l’ai compris de sa bouche au cours du séminaire, « International Writing Workshop« , je vais citer trois exemples :

 

De son poème Deor :

«  Weland himself, by means of worms,

Experienced agony,

The strong-minded noble

Endured troubles

He had for his companions

Sorrow and longing

Winter- bitter wrack

He often found misery

After Niohad

Put fetters on himl

Supple sinew – bonds

On the better man…

D’un autre texte, Seafarer :

« I can make a true song

About me myself

Tell my travels

Now I often endured

Days of struggle…

 

Dernier exemple lorsqu’il était dans le métro de Paris et qu’il voulait traduire la beauté des visages de femmes qu’il voyait autour de lui :

«  The apparition of these faces in the crowd

Petals on a wet black bough. »

 

Deux lignes, quelques mots = un poème !

On rejoint ainsi les compositions du « surréalisme » ou l’expression de l’écriture spontanée qui caractérisait le mouvement. André Breton en fut l’exemple même.

Il fut aussi le partisan de faire des poèmes sans versification, sans ponctuation (Les points, virgules et autres signes cabalistiques ressemblaient trop à des interdits, des barrières, des contraintes !) : les rimes représentaient un vestige du romantisme, ce qui impliquait asservissement, bourgeoisie,  arrogance. Lui venait du peuple et resterait proche du peuple ! Comme tous les jeunes poètes d’après la guerre WW1, il avait la rébellion chevillée dans l’âme, le désir de tout casser dans la société qui avait permis un tel massacre, une haine de la société dite « bonne ».

Ezra Pound est aussi, en 1913, à l’origine du « vorticisme« , mouvement qui pensait, selon les théories de Umberto Boccioni, que « l’art se trouvait dans le vortex des émotions« , d’où un art de l’intensité ( condensé, concis, concentré) qui choisit la forme la plus dynamique pour s’exprimer. C’est le grand début, ce qui était possible de la part des anglo-saxons grâce à leur langue rythmique et hachée mais impossible pour le français alambiqué, de ce raccourci de l’écriture qui va se retrouver au XXIe siècle dans le monde de la communication informatique ( texto, facebook, twitter).

Mais cette époque fasciste qu’il vécut en Italie lui valut, à son retour aux Etats-Unis, une condamnation pour haute trahison et douze ans dans un établissement psychiatrique. Alors enfermé, il commença à écrire ses « Cantos » sur du papier toilette et lorsque l’œuvre fut publiée, elle fit scandale surtout lorsqu’on lui demanda où il avait rédigé ses vers. Il répondit : « Dans un trou plein de cafards ! ».

Une fois libéré grâce au soutien de nombreux écrivains, il retourna en Italie puis fit un saut en 1967 aux Etats-Unis voir son ami Paul Engle. Et c’est là que je le rencontrai. C’était un vieillard abattu, malade, qui avait encore des réparties cinglantes et une très haute idée de la poésie et de son influence sur le monde. Malheureusement son passage fut court et il rentra en Italie où il mourut à Venise le premier novembre 1972. Il y est enterré.

Ce que je retiens de son passage c’est le rôle qu’il a joué tout le long de sa carrière : rebelle, anticonformiste, il a libéré les jeunes de son époque du carcan politique, intellectuel, artistique qui les emprisonnait. Il a fait sauter le corset sociétal des femmes et a tracé une nouvelle voie vers une exaltation des sens, une implosion des sentiments et une libération de la parole.

Il ne faut pas oublier l’atmosphère des années 65/70 aux Etats-Unis dans les Universités américaines.  Les étudiants étaient contre la guerre du Vietnam et des protestations s’élevaient de partout contre le gouvernement. En tant qu’enseignant et ancien insoumis contre la guerre d’Algérie, ce qui m’avait valu d’être condamné par le Tribunal Militaire de Paris le 13 juin 1963, j’étais souvent sollicité par des mouvements estudiantins à prendre la parole au cours de meetings. Alors me retrouver dans ce séminaire avec des révolutionnaires comme Ezra Pound ou Allen Ginsberg correspondait à mes profonds sentiments d’injustice et de révolte. J’y ai passé des heures exaltantes à vouloir par la poésie redresser le monde et en inventer un nouveau plus juste, plus sincère, plus proche de nos aspirations. Moment sublime de ma carrière !

Au cours de cet atelier (où j’obtins un A !!!), j’eus l’honneur de publier une œuvre dans le magazine

« Caravan » de 1967 dans le style « imagisme » créé par Ezra Pound :

Extraits de «  Demain le soleil était noir » en français et en anglais :

 

 

Comment arrive-t-on                          how does one manage

à se faire tuer à un feu                              to get killed at a light ?

avance le pied                                              set forth his foot

La mère de Juliette                                    Juliet’s mother

Surprise de tous                                         everyone was so surprised

Dans un accident personne ne sait         in an accident no one knows
Ligne du destin                                           line of destiny

Dissimulée                                                    concealed

Sentier                                                           footpath

Sous la jungle                                             Under the jungle

On a tous un sentier                                   we all have a path

On le suit                                                   we follow it

Sans savoir                                                  without knowing

Ce qu’il y a au tournant   what’s at the bend

 

 


L’année suivante, l’invité d’honneur du « Poetry Workshop » fut Lawrence Ferlinghetti, qui représentait la fameuse « Beat Generation » de Jack Kerouac et d’Allen Ginsberg.

Lawrence resta plus longtemps que Ezra Pound au séminaire et nos intérêts nous rapprochèrent beaucoup pendant ces longues séances de discussions. C’est un autre article à écrire …

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