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Mark Twain, les débuts d’un « personnage »

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Devenir journaliste est le rêve de beaucoup de jeunes car il y a une auréole médiatique autour de la tête de ceux ( ou celles) qui ont survécu à ce terrible champ de bataille. Les plus célèbres, depuis le début du 19e siècle, n’y ont pas coupé : débuts difficiles comme pigistes, petite mains de l’information, coolies des chaudes rubriques, porteurs d’eau des grands reporters. Jusqu’à ce que le hasard, la chance ou un instinct aiguisé ne les fassent sortir de l’obscurité.

Par André Girod

Devenir journaliste est le rêve de beaucoup de jeunes car il y a une auréole médiatique autour de la tête de ceux ( ou celles) qui ont survécu au terrible champ de bataille qu’est la presse. Les plus célèbres, depuis le début du 19e siècle, n’y ont pas coupé : débuts difficiles comme pigistes, petite mains de l’information, coolies des chaudes rubriques, porteurs d’eau des grands reporters. Jusqu’à ce que le hasard, la chance et un instinct aiguisé ne les fassent sortir de l’obscurité.

Or un écrivain très connu du sud des Etats-Unis eut son lot de misères avant d’être repéré comme journaliste puis écrivain exceptionnel.

Ecrire ici une biographie aussi fournie soit-elle de « lui » est perdre son temps. Trop de pages ont été consacrées à son œuvre et copier quelques passages ne serait que du plagiat, malheureusement très souvent employé pour combler des vides par des nègres de service ! Je me refuse de le faire. Je préfère m’intéresser à ce que fut ce formidable scoop qui permit à « mon journaliste » de s’élever au-dessus de la piétaille. Auparavant, ce jeune homme, Samuel Langhorne Clemens né à Florida, bourgade du Missouri, le 30 novembre 1835, devenu tôt orphelin de père, dut travailler pour aider sa mère. Il s’engagea chez un imprimeur et se familiarisa avec la composition des textes, puis avec les textes eux-mêmes. Un certain talent de raconteur le poussa à rédiger quelques petits articles qu’il offrit au journal du coin, le « Hannibal Journal ».

Premières pages dans le monde de la presse. Voyant son horizon bouché, il entreprit de suivre plusieurs voies. D’abord celle qui lui était familière, ayant vécu sur les berges du Mississipi :  le maniement des bateaux à roues qui sillonnaient le fleuve. Il obtint sa licence de capitaine et ses voyages lui inspirèrent deux de ses merveilleux romans, « Adventures of Tom Sawyer » ( 1876) et « Adventures of Huckleburry Finn ».( 1885). ( Big clue I am giving you!)

Mais l’Ouest l’attira comme tous les aventuriers de cette époque : vastes

régions inexplorées, métiers sans frontières. Il devint mineur à Virginia City dans le Nevada. Mais l’emprise de l’écriture ne le lâcha pas. Il produisit quelques articles pour le canard local : « Territorial Entreprise ». Il avait comme nom de plume, Josh puis Thomas Jefferson Snodgrass. Mais le 3 février 1863, pour le journal du Nevada, il signa «  Mark Twain ». Maintenant vous savez qui est Clemens ! Mais d’où vient son nom de plume : Mark Twain. L’écrivain l’explique lui même.

Twain est une forme archaïque de «  two » ( deux).  Lorsque Mark Twain travaillait sur le Mississipi, un marin à l’avant du pont, mesurait la profondeur du fleuve pour savoir si le bateau pouvait passer. Il lui fallait un minimum de 12 pieds ( 3,7 m) pour être à l’abri d’un danger. Le marin criait : «  By the mark twain », c’est à dire «  selon la marque deux », système de repérage, dans ce monde maritime. A force de l’entendre, Clemens pensa que ce serait un excellent moyen de se rappeler toute sa vie sur le Mississipi. Ce fleuve lui inspira d’ailleurs ses deux fameux romans.

Pourtant Mark Twain serait resté un illustre inconnu dans le journalisme s’il n’avait pas saisi la chance de sa vie, ce qui transforma le petit reporter en «  grand reporter ». Le hasard nous tend la main de temps à autre. Certains savent s’en saisir, d’autres hésitent et Monsieur Hasard s’évanouit.

Mark Twain sut le faire.

 

Après sa minable prestation dans une mine du Nevada, il poursuit son chemin jusqu‘à San Francisco où il décroche un poste de correspondant pour le « Sacramento Union », le quotidien de la capitale de la Californie. La responsabilité d’une telle tâche n’est pas de jouer sur son talent d’écrivain, encore faut-il avoir des sujets prenants dans lesquels planter ses crocs. Faute d’avoir de tels événements à sa portée, il demande à partir dans les « Sandwich Islands » que nous connaissons sous le nom d’Hawaii. En 1866, Mark Twain est encore inconnu, un de ces jeunes gens en mal d’aventures qui scribouillent de temps à autre, un papier qu’ils réussissent à fourguer à une feuille de chou du coin. Rien de passionnant dans cette rubrique des chiens écrasés.

Or un événement va frapper l’imagination des Américains en 1866 et projeter le nom de Mark Twain à la première page des journaux. Sa gloire se forge à ce moment-là.

Ce qui suit est extrait d’un livre qui vient de sortir aux Etats-Unis : « Autobiography of Mark Twain », publié exactement cent ans après sa mort, le 21 avril 1910. Ce fut sa dernière volonté de ne faire paraître ces lignes qu’un siècle après sa mort, pour être sûr que tous ceux mentionnés dans ses mémoires, soient bien morts et qu’ils n’auraient pas l’occasion de le dénigrer ou de l’attaquer ! On connaît l’humour de Mark Twain mais pas trop son humour noir. En effet les textes sont remplis d’anecdotes dont sont les cibles son entourage et ses connaissances. Et il n’y va pas avec le dos de la cuillère, ce cher Mark Twain !

 

Pourtant ce nom de Mark Twain ne devint pas célèbre d’un coup de baguette magique. Comme tout bon journaliste ambitieux, Clemens rêvait d’avoir un article publié par le plus important magazine de l’époque, le «  Harper’s  Monthly » à New York, la capitale intellectuelle des Etats-Unis. Il adressa un papier à l’éditeur qui l’accepta. Mark Twain acheta vite une copie et se rendit compte que le typographe avait déformé son nom de plume : il l’appela Mike Swain. Sans doute dû au fait que tout était écrit à la main et que l’écriture de notre apprenti baroudeur était exécrable !

Mais cet incident mentionné plus haut qui devait la part belle à Mark Twain et assurer sa notoriété, se déroula le 3 mai 1866 en plein océan Pacifique.

Ce jour-là, une frégate du nom de « Hornet » avec 31 hommes à bord, prenait feu à la suite de la négligence d’un marin. En quelques instants, les flammes dévorèrent le malheureux bateau de bois. Il fallait évacuer l’équipage. Tous furent sauvés et se retrouvèrent dans trois canots de sauvetage dont deux prenaient l’eau. Situation invraisemblable de naufragés, loin de toutes voies maritimes avec seulement dix jours de provisions à bord. Le capitaine, homme de poigne, décida de distribuer les rations au compte-gouttes : un verre d’eau quatre fois par jour, un demi biscuit, une minuscule tranche de lard. Parfois, avec maladresse, ils attrapaient un poisson ou un oiseau. Un jour, ils prirent deux dauphins et cela leur permit de tenir le coup une semaine de plus.

Evidemment aucun signal de détresse, aucun moyen de communiquer leur position. La frégate avait simplement disparu mais aucune inquiétude de la part des proches, puisque le voyage, autour du cap Horn, prenait des semaines. De ce côté-là aucune chance d’être recherché.

Mais le 15 juin 1866, après 43 terribles journées épuisantes en mer, le canot principal de sauvetage, avec 16 hommes à bord, atteignit les côtes de Hawaï. La tentation de cannibalisme les hantait depuis plus d’une semaine puisqu’ils n’avaient plus rien à manger. Il était temps qu’ils fussent sauvés.

Or notre petit reporter, Mark Twain était à Honolulu en train de chercher l’inspiration. Sa muse était en grève. Il apprit la nouvelle et il fila à l’hôpital pour interroger les survivants. Il n’était évidemment pas seul. C’est là qu’apparaissent les traits d’un reporter au sang-froid remarquable. Pendant que les autres journalistes bombardaient de questions les naufragés, Mark Twain eut l’idée d’aller voir les frères Ferguson. Ils faisaient partie des survivants non pas comme marins mais comme uniques passagers de la frégate. Eduqués, ils avaient tenu un carnet de bord pendant la traversée puis après l’accident, racontant jour après jour leurs souffrances. Ils acceptèrent de le confier à Mark Twain. Ce dernier fonça à son hôtel et recopia les textes puis il composa un long article toute la nuit qu’il fourra dans une enveloppe. Il devait faire vite pour battre la concurrence car il savait qu’au petit matin, un navire partait pour San Francisco.

Mark Twain s’amuse de cette soirée : il est sans illusion sur la lutte acharnée que se livrent les «  correspondants ».

«  We got through with this work at six in the evening, I took no dinner, for there was no time to spare if I would beat the other correspondants. I spent four hours arranging the notes in a proper order, then wrote all night and beyond it. »

«  Nous terminâmes notre travail à six heures du soir, je ne dînai pas, pas de temps à perdre si je voulais battre les autres concurrents. Je passai quatre heures à arranger mes notes dans l’ordre qu’il fallait puis écrivis toute la nuit et au-delà. »

Les autres entassèrent leurs notes sur la table de nuit et se couchèrent.

Le bateau partait à neuf heures et Mark Twain arriva sur le quai au moment où le dernier cordage était largué. Dans un effort suprême, il lança l’enveloppe en direction d’un marin. L’envoi atterrit sur le pont. Son article était en route pour la Californie, le «Sacramento Union ». De San Francisco, le texte fut télégraphié à Sacramento qui le fit suivre à New York où il fut repris par la presse américaine dans son ensemble.

Notre petit reporter était devenu grand, fameux, sollicité de toutes parts. Mark Twain ironise sur ce coup du sort. Quand il retourne en Californie, il présente une facture exorbitante aux propriétaires du « Sacramento Union ». Mark Twain nous dit que, sans hésitation, ils payèrent rubis sur l’ongle.

«  The cashier did not faint. He sent for the proprietors and they came and never uttered a protest. » ( Le caissier ne  s’évanouit pas ( devant la facture). Il envoya chercher les propriétaires. Ils arrivèrent et ne formulèrent aucune protestation ».)

Il ajoute : « They only laugh, in their jolly fashion, and said it was robbery, but no matter, it was a great «  scoop » ( the bill or my Hornet report, I didn’t know which). »

(«  Ils rirent simplement, d’une façon aimable, dirent que c’était du vol mais qu’importe, c’était un sacré «  scoop » ( la facture ou l’article sur le Hornet , je ne savais pas ! »)

La suite n’est que la Grande Histoire !

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