Le parc national de Mesa Verde est situé dans le sud-ouest de l’Etat du Colorado, sur un plateau haut de 610 m et long de 32 km, royaume du pin pignon et du genévrier. A son extrémité sud, au creux de niches profondes et de grottes aux arches monumentales, on peut voir quelque 800 habitations en partie taillées dans le grès des falaises et qui – principalement au 13e siècle – ont abrité des Indiens au talent artistique et architectural exceptionnel, appartenant probablement à la tribu des Pueblo.
Traversant, au 17e siècle, la vallée voisine, des explorateurs espagnols baptisèrent Mesa Verde (Table Verte) cette montagne aplatie, dont ils renoncèrent à escalader les impressionnantes hauteurs couvertes de forêts.
Au début des années 1870, plusieurs géologues photographièrent quelques petites habitations édifiées dans la vallée, et c’est en 1888 seulement que deux cow-boys, partis à la recherche de leur bétail égaré dans le blizzard, aperçurent, au milieu des tourbillons de neige, l’oeuvre maîtresse qui est aujourd’hui la gloire du parc : Cliff Palace, le « palais de la falaise ».
La nouvelle de cette découverte d' »une ville fantôme en plein ciel » se répandit comme une traînée de poudre. Les chasseurs de trésors accoururent et se mirent à piller les demeures, où ils dérobèrent des poteries et d’autres précieux objets artisanaux. Certains utilisèrent même la dynamite.
Aujourd’hui, le seul danger qui menace Mesa Verde est le nombre imposant de touristes qui veulent voir de près ces fragiles vestiges. Aussi toutes les précautions sont-elles prises : les visiteurs doivent attendre leur tour avant d’accéder en bon ordre aux principaux sites, et une équipe de spécialistes assure en permanence l’entretien des sentiers qui pourraient souffrir des allées et venues.
Dans l’immense excavation de Cliff Palace (100 m de long sur 30 m de large) vivaient jusqu’à 250 personnes. Les pierres avec lesquelles a été édifié cet ensemble de donjons et de maisons (dont certaines atteignent quatre étages) ont été taillées à la hache. Un circuit signalisé permet de traverser une succession de salles, petites pour la plupart, et de faible hauteur car la taille moyenne à l’époque ne dépassait pas 1,60 m pour un homme.
Pour pénétrer dans Balcony House, de l’autre côté de la vallée, le candidat à la découverte doit être en bonne condition physique et ne pas souffrir du vertige : il est obligé d’escalader une échelle de 12 mètres, puis de ramper à travers un étroit goulet. La sortie s’effectue à flanc de rocher; il faut poser le bout du pied dans des entailles, tout en se cramponnant à une chaîne. Cette issue (qui, à l’origine, servait d’entrée) était conçue selon un système architectural ingénieux, destiné à empêcher toute irruption.
L’histoire de Mesa Verde remonte à 60 millions d’années. A cette époque, la région, aujourd’hui aride, était couverte d’une mer peu profonde où venaient s’accumuler les sédiments charriés par des cours d’eau qui les arrachaient aux anciennes montagnes toutes proches. Lorsque l’eau se retira, ces dépôts se solidifièrent en d’épaisses strates de grès et de schiste. Des mouvements tectoniques soulevèrent ensuite le terrain, formant des mesas autour desquelles les rivières se mirent à creuser de profonds canyons.
La structure géologique de la principale mesa et de ses falaises constituait un ensemble exceptionnel de terres arables, d’eau et d’abris naturels. C’est là que s’installèrent les premiers habitants préhistoriques du secteur, sans doute des semi-nomades qui, las de chasser, devinrent cultivateurs. Les archéologues leur ont donné le nom de « vanniers » car ils excellaient dans l’art de la vannerie. Leurs paniers étaient si finement tressés que l’on pouvait y transporter des liquides ou y faire cuire des aliments à l’aide de pierres chauffées jetées dans l’eau.
On a retrouvé 22 habitations attestant qu’au cours de la deuxième moitié du 16e siècle, des hommes vivaient encore au sommet de la mesa, dans des salles semi-souterraines qui étaient étroitement groupées.
Au fil du temps, ils plantèrent le maïs, le haricot et la courge et commencèrent à fabriquer des poteries, traçant sur fond blanc ces dessins à la peinture noire minérale qui allaient par la suite devenir leur marque distinctive.
Vers le 8e siècle, ils entreprirent de commercer avec les tribus de l’Ouest, bâtirent des résidences permanentes, dont certaines dans les grottes creusées au flanc des falaises, mirent au point leur propre modèle d’arc et de flèches, domestiquèrent le dindon et tissèrent sur des métiers le coton venu du Mexique.
Vers l’an mille de notre ère, les techniques architecturales qui devaient plus tard trouver leur plein épanouissement dans les habitations des falaises se perfectionnèrent. L’usage des blocs de pierre devint ainsi courant, tandis que les plans et la construction des temples du soleil étaient conçus dans un esprit d’exigeante symétrie.
Ce peuple faisait également preuve d’intérêts spirituels et économiques particuliers, qui se traduisaient notamment dans les relations inter-communautaires. Les « Kivas« , structures souterraines géantes servant aux cérémonies, en sont l’illustration, tout comme le système hautement perfectionné de canalisation des eaux : des conduites alimentaient à la fois Mummy Lake, un réservoir situé à 5 km de l’unique terrain de camping du parc et de nombreux mini-barrages de retenue : on en a retrouvé 954 intacts sur une seule petite mesa, qui servaient à irriguer les potagers.
Au 12e siècle, les habitants des centaines de villages troglodytiques disséminés sur l’ensemble de Mesa Verde se regroupèrent en communautés plus importantes, afin de se protéger contre les « Barbares ». Leur évolution se poursuivit et leur culture connut son âge d’or, caractérisé, entre autres, par l’aspect esthétique des objets usuels, qui dépassait les simples exigences utilitaires.
Au début du 13e siècle, les Indiens se transportèrent en totalité dans les grottes et bâtirent en hâte les habitations des falaises. Cette migration soudaine eut probablement pour cause un péril auquel ils étaient exposés sur les hauteurs des mesas. Certes, les fouilles n’ont révélé la présence d’aucun ennemi ou peuplade étrangère et n’ont livré la trace d’aucun combat important, mais il est difficile d’expliquer autrement la raison de ce déplacement massif.
En effet, les parois des cavernes, bien qu’offrant un abri naturel contre les tempêtes hivernales, devaient être froides, humides et moins saines que les sommets du plateau. (Passés au rayons X, les squelettes retrouvés sur place portent tous des signes d’arthrite grave, montrent des dents barrées et infectées, du rachitisme et des fractures osseuses non réduites). De toute évidence, l’extrême difficulté d’accès de certaines maisons interdisait pratiquement aux vieillards d’y entrer ou d’en sortir, et il devait être dangereux d’y élever de jeunes enfants.
La nouvelle installation fut d’ailleurs temporaire : dés l’aube du 14e siècle, les Indiens avaient complètement abandonné les falaises, probablement sous la pression de circonstances extrêmes.
Pourquoi ils partirent et où ils allèrent nul ne le sait vraiment. On pense que le sol des champs avait commencé s’épuiser et qu’il leur était devenu difficile de s’y rendre depuis les grottes. De plus, en 1276, était survenue une sécheresse qui devait durer 24 ans (l’argument est discutable, car ces tribus savaient utiliser les canaux d’irrigation dans les années où la pluie était insuffisante et elles avaient, de ce fait, survécu à de précédentes périodes sèches).
Quoi qu’il en soit, le départ se fit apparemment sans violence et progressivement (l’emplacement de certains squelettes indique pourtant que les vieillards et les malades étaient laissés sur place). De nombreux objets restèrent en place comme si leurs propriétaires avaient l’intention de revenir un jour.
En fait, selon la plupart des archéologues, une migration s’organisa vers l’Arizona et l’ouest du Nouveau-Mexique où les gens de Mesa Verde furent absorbés par d’autres tribus Pueblo, telles que les Hopi ou les Zuni.
La nature a depuis longtemps transformé en ruines les maisons du plateau et recouvert les champs de végétation sauvage, mais les habitations des falaises sont demeurées pratiquement intactes. Chaque soir, lorsque les visiteurs sont repartis et que les ombres envahissent les parois du canyon, une atmosphère de pesante désolation envahit ces édifices sur lesquels plus de sept siècles sont passés. Endormie dans sa splendeur immobile, Mesa Verde retrouve les fantômes que chassera le soleil.
Mesa verde national Park est situé sur les hauts plateaux de l’angle sud-ouest du Colorado, à environ 10 miles à l’est de Cortez et à 36 miles à l’ouest de Durango. L’entrée du Parc se situe sur la US Highway 160.