Par André Girod
Je m’inscrivis au programme d’un Master (MB) en littérature puis l’ayant obtenu en juin 1967, je poursuivis mon parcours pour tenter d’obtenir un doctorat (PhD).
C’est alors qu’un cours m’apparut comme fascinant en tant qu’écrivain et poète : l’ « International Writing Program » dirigé par Paul Engle et sa femme d’origine chinoise, Hualing Nieh . Paul Engle n’était pas un inconnu à Cedar Rapids car il y était né et avait même été l’élève de Grant Wood, à la « Mc Kinley School« . Très doué il devint vite le poète attitré de la ville puis se vit offrir un poste d’enseignant à l’Université de l’Iowa.
Pour y être accepté, il faut avoir publié dans son pays, ce qui avait été mon cas avec deux longs poèmes : « L’ivrogne » et « Demain le soleil était noir ». Le magazine « Caravan » sort à la fin de chaque session avec des compositions d’auteurs qui ont assisté au séminaire.
Or en 1966-67, puis 1967-1968, dans l’atelier « Poetry Workshop » dirigé par Paul, des invités d’honneur venaient passer quelques semaines avec les participants. C’est ainsi que cette première année, le grand poète américain Ezra Pound a participé à nos discussions, critiques et rédactions d’écrits. L’année suivante, ce fut au tour de Lawrence Ferlinghetti puis d’Allen Ginsberg de venir.
Ezra Pound était aux portes de la mort lorsqu’il apparut : il avait en 1967, quatre-vingt deux ans, son dernier retour en Amérique dont certains milieux l’avaient haï. Né le 30 octobre 1885 à Hailey, Idaho, il avait très jeune révélé un talent d’écrivain. Après des études aux Etats-Unis, il partit pour l’Europe. Il est à remarquer comme nous l’avons vu avec Grant Wood, que l’attirance de l’Europe était considérable pour les intellectuels, écrivains, peintres, sculpteurs américains. L’Europe était un foyer d’innovation artistique, d’exubérance littéraire, de liberté de moeurs et tout Américain qui voulait s’épanouir dans le monde des arts, rêvait d’y séjourner. Au contraire, comme nous l’avons vu avec Vanderbilt, les Européens qui voulaient développer leur recherche d’innovations industrielles, de talent commercial et d’aventure débridée partaient vers l’Amérique. Un vrai programme d’échange entre la France et les Etats-Unis !
Ce fut alors le destin d’Ezra Pound de se laisser entraîner dans la gloriole du fascisme et de proposer ses services à Mussolini pour animer une émission contre les Etats-Unis de 1941 à 1945. Sur les ondes il épandait sa haine contre le capitalisme, les gnomes de Washington et dans ses délires les plus bruyants, souhaitait la fin de ce monde où il avait souffert.
Pour bien comprendre l’œuvre de Ezra Pound, comme je l’ai compris de sa bouche au cours du séminaire, « International Writing Workshop« , je vais citer trois exemples :
De son poème Deor :
« Weland himself, by means of worms,
Experienced agony,
The strong-minded noble
Endured troubles
He had for his companions
Sorrow and longing
Winter- bitter wrack
He often found misery
After Niohad
Put fetters on himl
Supple sinew – bonds
On the better man…
D’un autre texte, Seafarer :
« I can make a true song
About me myself
Tell my travels
Now I often endured
Days of struggle…
Dernier exemple lorsqu’il était dans le métro de Paris et qu’il voulait traduire la beauté des visages de femmes qu’il voyait autour de lui :
« The apparition of these faces in the crowd
Petals on a wet black bough. »
Deux lignes, quelques mots = un poème !
On rejoint ainsi les compositions du « surréalisme » ou l’expression de l’écriture spontanée qui caractérisait le mouvement. André Breton en fut l’exemple même.
Il fut aussi le partisan de faire des poèmes sans versification, sans ponctuation (Les points, virgules et autres signes cabalistiques ressemblaient trop à des interdits, des barrières, des contraintes !) : les rimes représentaient un vestige du romantisme, ce qui impliquait asservissement, bourgeoisie, arrogance. Lui venait du peuple et resterait proche du peuple ! Comme tous les jeunes poètes d’après la guerre WW1, il avait la rébellion chevillée dans l’âme, le désir de tout casser dans la société qui avait permis un tel massacre, une haine de la société dite « bonne ».
Ezra Pound est aussi, en 1913, à l’origine du « vorticisme« , mouvement qui pensait, selon les théories de Umberto Boccioni, que « l’art se trouvait dans le vortex des émotions« , d’où un art de l’intensité ( condensé, concis, concentré) qui choisit la forme la plus dynamique pour s’exprimer. C’est le grand début, ce qui était possible de la part des anglo-saxons grâce à leur langue rythmique et hachée mais impossible pour le français alambiqué, de ce raccourci de l’écriture qui va se retrouver au XXIe siècle dans le monde de la communication informatique ( texto, facebook, twitter).
Mais cette époque fasciste qu’il vécut en Italie lui valut, à son retour aux Etats-Unis, une condamnation pour haute trahison et douze ans dans un établissement psychiatrique. Alors enfermé, il commença à écrire ses « Cantos » sur du papier toilette et lorsque l’œuvre fut publiée, elle fit scandale surtout lorsqu’on lui demanda où il avait rédigé ses vers. Il répondit : « Dans un trou plein de cafards ! ».
Une fois libéré grâce au soutien de nombreux écrivains, il retourna en Italie puis fit un saut en 1967 aux Etats-Unis voir son ami Paul Engle. Et c’est là que je le rencontrai. C’était un vieillard abattu, malade, qui avait encore des réparties cinglantes et une très haute idée de la poésie et de son influence sur le monde. Malheureusement son passage fut court et il rentra en Italie où il mourut à Venise le premier novembre 1972. Il y est enterré.
Ce que je retiens de son passage c’est le rôle qu’il a joué tout le long de sa carrière : rebelle, anticonformiste, il a libéré les jeunes de son époque du carcan politique, intellectuel, artistique qui les emprisonnait. Il a fait sauter le corset sociétal des femmes et a tracé une nouvelle voie vers une exaltation des sens, une implosion des sentiments et une libération de la parole.
Il ne faut pas oublier l’atmosphère des années 65/70 aux Etats-Unis dans les Universités américaines. Les étudiants étaient contre la guerre du Vietnam et des protestations s’élevaient de partout contre le gouvernement. En tant qu’enseignant et ancien insoumis contre la guerre d’Algérie, ce qui m’avait valu d’être condamné par le Tribunal Militaire de Paris le 13 juin 1963, j’étais souvent sollicité par des mouvements estudiantins à prendre la parole au cours de meetings. Alors me retrouver dans ce séminaire avec des révolutionnaires comme Ezra Pound ou Allen Ginsberg correspondait à mes profonds sentiments d’injustice et de révolte. J’y ai passé des heures exaltantes à vouloir par la poésie redresser le monde et en inventer un nouveau plus juste, plus sincère, plus proche de nos aspirations. Moment sublime de ma carrière !
Au cours de cet atelier (où j’obtins un A !!!), j’eus l’honneur de publier une œuvre dans le magazine
« Caravan » de 1967 dans le style « imagisme » créé par Ezra Pound :
Extraits de « Demain le soleil était noir » en français et en anglais :
Comment arrive-t-on how does one manage
à se faire tuer à un feu to get killed at a light ?
avance le pied set forth his foot
La mère de Juliette Juliet’s mother
Surprise de tous everyone was so surprised
Dans un accident personne ne sait in an accident no one knows
Ligne du destin line of destiny
Dissimulée concealed
Sentier footpath
Sous la jungle Under the jungle
On a tous un sentier we all have a path
On le suit we follow it
Sans savoir without knowing
Ce qu’il y a au tournant what’s at the bend
L’année suivante, l’invité d’honneur du « Poetry Workshop » fut Lawrence Ferlinghetti, qui représentait la fameuse « Beat Generation » de Jack Kerouac et d’Allen Ginsberg.
Lawrence resta plus longtemps que Ezra Pound au séminaire et nos intérêts nous rapprochèrent beaucoup pendant ces longues séances de discussions. C’est un autre article à écrire …