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A la rencontre des Américains – Rencontres insolites 14

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Pour poursuivre nos rencontres, toujours avec avec une attitude Kairos, nous prenons notre temps et oublions le GPS. L’instinct, la curiosité et surtout le hasard nous guident.

 

Hal : the log truck driver

Quand vous voyagez sur la 101 qui vous conduit de Portland,Oregon à Seattle, Washington, vous êtes étonné de voir une grande quantité de camions chargés de troncs d’arbres (logs). Cette noria de véhicules présente l’un des aspects économiques de l’état de Washington : l’industrie du bois. Depuis l’abattage des pins, le transport des troncs jusqu’aux usines qui les débitent en planches, chevrons ou poutres ou qui les broient en copeaux (chips) pour en faire de la pâte à papier, l’industrie emploie des milliers et des milliers d’ouvriers et de chauffeurs.

Sur la 101 près de Port Angeles, un camion chargé de troncs est arrêté devant un petit troquet. Accoudé au comptoir, Hall attend son hamburger. C’est son troisième voyage aujourd’hui, à chaque fois 100 miles aller/retour (environ 180 kilomètres). Il a pris son chargement sur une concession où l’on abat les arbres avec un engin spécial.

Il travaille pour une société qui possède dix camions comme le sien. Cette société travaille sur trois sites différents et livrent des usines autour du parc Olympic, à l’ouest de Seattle.

Il conduit son camion depuis douze ans, mais travaille pour cette même société depuis trente ans. Avant il était bûcheron et, armé de sa tronçonneuse, coupait les sapins. Mais c’est un métier difficile et dangereux, alors on lui a demandé de conduire un camion.

Avec l’utilisation d’engins perfectionnés qui saisissent entre leurs puissantes mâchoires la base de l’arbre, la sectionnent en quelques secondes puis élaguent le tronc jusqu’au sommet, le bûcheron est devenu technicien. Moins de temps, moins de main d’œuvre.

La longueur des troncs sur son camion ne dépasse pas 40 pieds (environ 13 mètres). Un chargement fait environ 84 000 livres soit près de 40 tonnes. Les bois sont vendus au poids.

Mais la crise est passée par là il y a quelques années et le travail reste précaire.

Une dernière remarque de Hall : son patron a des difficultés à recruter, les jeunes n’étant plus intéressés par ce dur travail.

Merci à Hal pour tous ces renseignements.

 

Dan : The recycled iron Sculptor

Sur la route qui mène au Mont Rainier, le plus haut sommet de l’état de Washington, un étrange parc animalier surprend. Des animaux de toutes sortes en bois ou en métal semblent attendre les visiteurs.

C’est le paradis de Dan, un sculpteur qui utilise comme matériaux des bois qu’il récupère d’un lac voisin ou des déchets métalliques que les fermiers des environs lui apportent.

Dan a commencé comme mécanicien dans un garage où il a appris la soudure. Dans ses moments libres, il assemblait des morceaux de ferraille pour en faire des sculptures. Son patron lui a alors indiqué que sa vocation était plus dans le travail de la sculpture que dans la mécanique. Il a suivi le conseil.

Depuis 1972, il a ouvert un atelier et créé ses œuvres. En 1998, il quitte le Minnesota où il est né et s’installe dans l’état de Washington. Il a acheté un vieil hangar où l’on réparait des wagons et des locomotives et l’a transformé en atelier et salle d’exposition.

Dan dit que c’est d’abord la forme de l’objet qui l’inspire. Puis il construit son modèle.

Pour le gigantesque cheval exposé sur la pelouse, il a mis 2 mois. Son prix serait de 60 000 Dollars !

L’été, de mai à septembre, un magasin est ouvert où sa compagne vend des petits objets aux visiteurs et aux touristes.

Dan fait du figuratif et n’apprécie pas le contemporain. Il raconte alors une anecdote : le musée d’art contemporain de Seattle lui a demandé d’exposer une pièce. Dan choisit un élan fait de bois de récupération (drift wood). Après l’exposition, il veut récupérer son œuvre. L’élan a disparu et le musée ne se rappelle plus où il a été mis. En réalité comme il arrive parfois en matière d’art contemporain, l’exposition était composée d’œuvres éphémères. Tout avait été jeté à la décharge y compris l’élan !

Ce n’est qu’une année plus tard, qu’une femme l’a appelé pour lui dire qu’elle avait retrouvé son élan, mais dans un piètre état. Depuis Dan conserve précieusement ses sculptures !

Son atelier s’appelle : « Ex-nihilo » (fait à partir de rien)

Son site : www.DanielKlennert.com

 

Merryl : the peach tree orchard owner

Loin des autoroutes, les petites routes vous offrent d’agréables surprises. En suivant la 109 qui longe la magnifique côte maritime de l’Etat de Washington, un village apparaît comme une reconstitution d’un petit Disneyland : c’est Seabrook, lancé par un promoteur il y a à peine quelques années. Le tour est vite fait puisque la plupart des maisons sont surtout faites pour la location d’été.

Dans le seul restaurant de l’endroit, les tables sont rapprochées à un tel point qu’elles se touchent. Alors pas difficile d’entamer une conversation avec ses voisins.

A côté de nous un homme et deux femmes. Après le bonjour traditionnel, on papote et voilà un autre portrait.

Merryl a 86 ans. Il est accompagné de sa nouvelle femme qu’il a épousée l’année dernière ! Et de la fille de cette dernière.

Merryl a vu de profonds changements dans l’état de l’Oregon où il est né bien avant la guerre. En 1946, il achète un verger de 1700 pêchers qui lui donnent six variétés de fruits. L’avantage c’est que les récoltes durent plusieurs mois, les variétés mûrissant à différentes époques de l’année. Les pêches sont ramassées et mises dans des boites de 30 livres, soit 18 kilos.

J’apprends ainsi que les arbres produisent pendant trente ans et que pour les renouveler, des arbustes sont plantés entre ceux qui produisent. Quand ils sont assez grands les vieux arbres sont coupés et les racines laissés en terre.

Lorsqu’il a commencé à vendre sa récolte, il n’y avait pas de supermarchés. Les acheteurs venaient à sa ferme : ils achetaient des produits récoltés ou allaient ramasser leurs fruits.

L’apparition des grandes chaines ( Walmart, Jewels et bien d’autres) ne changea en rien sa façon de faire. Les représentants vinrent dans la vallée pour essayer d’imposer leurs prix et de s’emparer des récoltes. Beaucoup de fermiers cédèrent, d’après Merryl, aux sirènes de la grande distribution. Lui refusa.

Il continua à vendre à ses clients. Mais il dut réduire la voilure et tomba à mille pêchers. Ses fils l’aident à présent. Leurs revenus tombent dans la catégorie des classes défavorisée. Mais l’un d’eux abandonna le verger et se lança dans l’élevage des poulets : il en a 370 000 !

Merryl est malheureux que son métier, qui nourrissait des millions d’Américains dans ces riches vallées, soit en train de changer, et que ce changement ait transformé le fermier en producteur pour les entreprises agro-alimentaires.

Un problème que l’Europe connaît aussi !

 

 

Dave : le Twisp cowboy

En réalité, Dave ne voulait pas se faire appeler un « cowboy » mais un « cowman ». Il avait passé l’âge des « boys » et était devenu « a man ».

Dave était accompagné de cinq autres personnes à cheval dont trois femmes. Elles faisaient le même travail que les hommes.

Dave vient de Californie où il s’occupait aussi de bêtes. Pendant 45 ans il a fait ce travail. Le troupeau qu’il conduit d’une prairie à l’autre comprend 120 vaches et des veaux. Son équipe venait de marquer les bêtes au fer rouge. Ce n’est plus la façon ancienne où le fer était chauffé dans un brasier : à présent c’est un fer électrique. Plus rapide, plus sûr et moins douloureux !

Dave possède au total plus de 500 vaches qui font des veaux. Ces derniers sont nourris six mois puis vendus pour la boucherie.

Une fois les bêtes dans l’enclos, Dave et son équipe s’éloignent vers la rivière qui borde la propriété. Un signe de la main et ils disparaissent derrière des arbres. Un moment intense vient de se terminer.

Mais avant de rencontrer Dave, nous avons traversé un village qui aurait pu servir de décor à tous les films de John Wayne. C’est un quartier de Winthrop. La rue principale est bordée de magasins, de boutiques et d’un hôtel qui sortaient directement de l’écran de Tombstone ! Si vous passez par là, allez le voir car il est tellement loin des sentiers battus ! Un kairos est assez fou pour le visiter !

 

Bruce : the Onagonda-Wanatchee reforestation technician

L’une des richesses de l’état de Washington (comme d’ailleurs l’Oregon et les états du nord ouest des Etats-Unis) est l’immense forêt qui couvre environ la moitié de l’état. Elle appartient pour un bon tiers au gouvernement fédéral qui s’en occupe par l’intermédiaire de la « National Forest Service », un organisme dont le siège social est à Washington DC.

Dans l’état de Washington, la « Forêt Nationale » est divisée en 7 districts. L’un d’eux, la « Okanogan-Wenatchee National Forest » couvre 4 millions d’ « acres » ( environ 16 200 km² soit trois fois le département de Meurthe et Moselle). Pour la totalité de la forêt nationale, il faut compter environ 110 000 km², superficie du centre de la France.

La « National Forest », sous contrôle du gouvernement fédéral, n’est qu’une fraction de la surface totale de la forêt. Une surface égale appartient à l’état de Washington et une surface d’environ un tiers à des particuliers.

La forêt qui appartient au gouvernement fédéral et à l’état de Washington n’est pas exploitable par l’industrie du bois.

Bruce explique qu’environ seulement 1% peut être confié à l’industrie du bois (logging companies) lorsque la forêt a besoin d’être éclaircie ou pour enlever les arbres malades. Les règlements sont stricts et l’élagage se fait sous la surveillance de la « NFS ».

Bruce explique aussi la différence entre les « National Parks » comme le Grand Canyon et les « National Forests ». Les parcs ont été crées pour la préservation de lieux magnifiques et pour le tourisme. La forêt a été crée pour contrôler les activités qui peuvent s’implanter sur ce territoire. Sont admis les ranchs pour l’élevage, les mines pour la recherche de minéraux, le bois quand besoin est, et tout ce qui touche les loisirs : marche à pied, ski, scooter des neiges.

La forêt, explique Bruce, varie selon l’orientation : il y a des flancs de montagne de 200 mètres à plus de 3 000 mètres qui sont exposés au sud et ne reçoivent pas beaucoup de pluies. Il faut compter environ 80 arbres par acre. Mais lorsque le flanc est bien arrosé, la densité des arbres monte à 120 par acre.

Les arbres sont surtout des épicéas : pins Ponderosa, Douglas Firs, Western Larch, Subalpine trees. Ces arbres sont gigantesques et ont des hauteurs impressionnantes : le Douglas Fir peut atteindre 280 pieds soit 85 mètres ! La circonférence du Douglas Fir atteint 600 inches, soit plus de 15 mètres ! Traverser une forêt de Douglas Firs est aussi merveilleux qu’une forêt de séquoias.

Enfin pour se développer un Douglas Fir a besoin de 200 ans sur un flanc sec mais seulement 40 ans sur un flanc humide.

Le rôle de Bruce est de vérifier que la croissance des arbres se fait naturellement et que la forêt est nettoyée pour éviter les incendies dont on entend parler si souvent en France. Dans son district, en 2006, un incendie brûla 176 000 acres soit 712 km² (trois fois la surface du Val de Marne)!

La reforestation nécessaire à réparer les dégâts de cet incendie continue encore cette année.

L’été, Bruce dirige une équipe de 100 personnes.

D’autres explications seront données dans l’article : « Logging in Washington ». Merci à Bruce pour le temps qu’il m’a consacré.

 

Michael : The parachute manager of the smoke jumpers

Pour se rendre à la base des « Smokejumpers », il faut quitter les grands axes et s’enfoncer dans des vallées étroites torturées par de violents torrents, traverser des forêts dignes des romans gothiques et ralentir dans des hameaux isolés. Une route plaisante pour ceux qui prennent le temps de visiter.

Non loin de Winthrop, siège des parachutistes du feu, la voiture est arrêtée par une scène que l’on voit dans des films de westerns : un troupeau de vaches et de veaux (a stampede) guidé par six cowboys à cheval (voir portrait de Dave ci-dessus).

Daren, le directeur nous avait fixé un jour et une heure. Nous sommes reçus par Michael, de service cette semaine-là.

La rencontre fut des plus cordiales et des plus fascinantes.

Michael vient de Chicago. A 18 ans, il voit une vidéo qui parle du travail des « Smokejumpers » (parachutistes du feu est ma traduction). L’action, le risque et le danger lui plaisent. Il part vers l’état de Washington et fait sa période d’apprentissage à Winthrop. Il n’avait jamais sauté en parachute avant. Pendant plusieurs mois, en automne, il s’entraîne puis est prêt pour l’été, période des incendies.

La saison dure de mai à la fin septembre et les membres de cette unité spéciale restent sur la base pour intervenir le plus rapidement possible. Ils sont 33 à Winthrop. La base surveille la région 6 qui couvre une superficie allant de la frontière du Canada à Seattle, des millions d’ « acres » de forêt.

Depuis 15 ans, Michael a grimpé les échelons : il est professionnel et est responsable de la sécurité des parachutistes, travail qui nécessite de très grandes qualités car ses hommes dépendent de son sérieux.

Dans un bâtiment spécial où Michael nous emmène, il y a, bien rangés, 93 parachutes principaux et 50 parachutes de secours au cas où le principal ne s’ouvrirait pas !

Les 33 volontaires qui sont de service l’été, ont d’autres activités le restant de l’année : ils sont enseignants, étudiants, moniteurs de ski. Pour être accepté dans cette patrouille, il faut passer des tests physiques d’endurance, avoir du sang froid et être d’un courage exceptionnel. Pas donné à tout le monde !

Pour une saison, le volontaire reçoit pour la première année 25 000 Dollars. Cette compensation peut monter jusqu’à 55 000 pour 5 mois de service. Mais les heures ne sont pas comptées : jusqu’à 80 heures par semaine !

Les hommes (et femmes puisqu’ elles sont trois dans l’équipe) peuvent être envoyés à l’extérieur pour prêter main forte à d’autres équipes. C’est ce qu’on appelle une « Operation Boost ».

Aux Etats-Unis, il y a 420 jumpers. La liste des candidats est longue : plus de mille candidats par base ! Les conditions de recrutement sont épouvantables : poids, hauteur, condition physique, courir le mile et demi en moins de 11 minutes, ne pas avoir le vertige.

Cette idée de faire sauter des pompiers en parachute pour être au cœur des incendies vient de Francis Luftin en 1939. Il habitait Winthrop d’où l’installation de la première base dans cette bourgade.

Michael explique que le but de cette équipe est de sauter lorsqu’un feu s’est déclaré. Avec des haches et des houes, ils combattent les premières flammes et tentent d’empêcher l’incendie de se propager. Les pompiers avec leurs camions ne pourraient jamais arriver à temps, tellement le terrain est escarpé.

Pour être prêt à cette lutte sans merci, les volontaires sont équipés comme des astronautes : costume ininflammable, casque, outils, et un sac « Pulaski » d’environ 50 kilos ! Dedans, nourriture pour plusieurs jours, trousse de secours, corde de cinquante ou cent mètres pour descendre du sommet des sapins si leur parachute s’y est pris.

Dans l’avion qui survole le sinistre, des « spotters » et des « climbers » sont prêts à intervenir : le spotter est celui qui surveille les opérations et le grimpeur descendra pour récupérer le parachute. Il emportera avec lui une tronçonneuse et d’autres outils.

Lorsque les « smokejumpers » partent en mission, ils sont par paires : 2, 4, 6 ou 8, le maximum que peut transporter l’avion.

A ma question : » C’est beau de sauter au milieu de la forêt, d’éteindre le début d’incendie et après ? » Michael rit alors : « Simple, on attrape son barda et on descend vers la vallée pour rattraper une route ou même un chemin de montagne. Alors on vient nous chercher ! »

Pour Michael, sa plus longue marche a été pendant un incendie au Nouveau Mexique : 14 kilomètres à descendre une pente abrupte et traverser une forêt, le tout en 7 heures !

Enfin Michael précise qu’ils participent à au moins 50 opérations par saison. Et avec un rendement superbement efficace car il est facile d’éteindre un incendie qui commence.

Mais en supplément de ces équipes extraordinaires de « pompiers volants », il y a, comme en France, les pompiers sur véhicule et les Canadairs.

Je quitte Michael admiratif de son courage et de la détermination de ses hommes et femmes qui mettent leur vie en danger pour sauver l’un des trésors de l’état de Washington : sa forêt.